Partie 1
FAIRE FACE AU CHANGEMENT
Chapitre 3 : LE DÉFI RÉUSSI DE LA BANQUE UNIVERSELLE

Tout au long des années 1970, l’économie marocaine a fonctionné sur une politique d’investissements massifs, eux-mêmes soutenus par un recours régulier et très important à l’endettement, et ceci pour financer les infrastructures nécessaires au développement économique du pays. Transport, production énergétique, agriculture, industrie, logement et tourisme bénéficient de cette stratégie des pouvoirs publics. Mais au début des années 1980, la situation mondiale change, la mondialisation remet en question tous les modèles économiques existant depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le cadre des économies nationales est révolu ; tout se construit désormais à l’échelle de la planète.

Une crise sans précédent

Ayant adopté une politique d’ouverture sur les marchés internationaux, le Maroc est par voie de conséquence directement impacté. Mais la crise qu’il s’apprête à vivre a également d’autres origines. Tout d’abord, les cours du phosphate ont chuté drastiquement. Alors que dans les années 1974-1975, ils avaient contribué à l’excédent de la balance commerciale, ils retombent à leur niveau le plus bas dès 1977. C’est le tarissement d’une manne financière hautement symbolique. À cela s’ajoute la flambée du prix du baril de pétrole, qui vient gonfler une facture énergétique déjà impactée par la hausse du dollar, alors monnaie de référence en la matière.

Couverture du rapport d’activité 1977 du CIH
Les volontaires marocains participant à la Marche verte tiennent des drapeaux et des portraits de Sa Majesté le Roi Hassan II, le 7 novembre 1975 au campement de Tarfaya.

Enfin, une terrible sécheresse s’abat sur le Maroc au début des années 1980. Ce phénomène a deux conséquences : la chute de la production agricole – consommation nationale et exportations sont directement touchées – et la baisse significative de la production hydroélectrique des barrages. Celle-ci conduit à un recours plus important à l’importation d’énergie et donc à un alourdissement des dépenses publiques. Le Maroc entre alors dans une spirale dangereuse : il vit au-dessus de ses moyens et s’est trop endetté.
La croissance tourne au ralenti, le déficit budgétaire atteint 17% du PIB en 1981; la même année, l’économie marocaine entre officiellement en récession. L’inflation, quant à elle, atteint 15%! La population est impactée. La stabilité politique du pays reste une priorité. Des mesures sont prises en conséquence.

Place au plan d’ajustement structurel

À l’instar de nombreux pays, il est vital de réagir et de prendre des mesures d’ordre structurel. L’heure est au changement de modèle économique. La tendance est au désengagement de l’État partout où il était jusqu’alors fortement impliqué. Les termes de libéralisation de l’économie, de réduction des déficits publics remplacent ceux d’économie nationale et de déficit budgétaire. La page des années 1970 et de « la politique de l’endettement » est résolument tournée. Première étape, le rééchelonnement de la dette. Les pouvoirs publics se tournent naturellement vers le FMI et le Club de Paris – groupement informel de pays qui aident au financement du Maroc. Ces derniers acceptent la demande du Royaume en échange de certaines mesures. Mais le plan d’ajustement structurel élaboré en octobre 1980 ne suffit pas. L’amélioration est éphémère, voire illusoire. Les vrais problèmes ne sont pas réglés. Il faut aller plus loin.

C’est l’objet et l’objectif du plan d’ajustement structurel de 1981-1983. Ce plan est impulsé par les institutions internationales – FMI et Banque mondiale en tête –, qui posent des conditions beaucoup plus drastiques en contrepartie de leur aide au redressement économique. Elles demandent à l’État marocain de changer de paradigme et d’entrer dans le système de la mondialisation. Concrètement, cela signifie une libéralisation massive de l’économie et un désengagement de l’État partout où il était partie prenante. Ces choix entraînent la fin de l’encadrement des crédits bancaires, la banalisation du système bancaire et la suppression de la spécialisation sectorielle, représentée par les organismes financiers spécialisés créés juste après l’Indépendance. Les pouvoirs publics suivent les recommandations et élaborent un plan, présenté le 16 septembre 1983 au conseil d’administration du FMI. Ce dernier l’approuve et confirme une aide de 300 millions de dollars.

Dans les bureaux de la direction générale de CIH Bank au siège social à Casablanca, décembre 2016.
Le CIH se métamorphose

Le CIH, par son mode de fonctionnement et de financement sans cesse conforté depuis le Décret royal de 1968, est directement concerné par les mesures contenues dans le plan d’ajustement structurel. Son existence même en tant qu’organisme spécialisé est remise en question, au même titre que la BNDE et la CNCA. La transformation est inéluctable, et l’institution doit s’y préparer.

En fait, c’est tout l’écosystème du CIH qui va être bouleversé par trois changements majeurs et simultanés. Tout d’abord, les marchés sont décloisonnés sur le plan bancaire : il y a désormais un seul marché dans lequel tous les acteurs peuvent intervenir. Ensuite, le crédit, quant à lui, est désencadré, ce qui signifie la fin de la limitation des volumes des crédits bancaires. Désormais, les autres banques peuvent aussi financer les secteurs sur lesquels le CIH avait jusque-là un monopole de fait.

Signalétique « Prêts » au 4e étage du siège social de CIH Bank à Casablanca, décembre 2016.
Sur la passerelle qui surplombe le hall d’entrée du siège social de CIH Bank à Casablanca, novembre 2015.

Enfin, les taux sont libéralisés, laissant le marché décider, quand auparavant Bank Al-Maghrib s’en chargeait. Le CIH, mis au même niveau que les autres banques commerciales, se voit amputé de ses outils financiers et en matière de crédit. Il perd sa situation de monopole concernant le logement et l’hôtellerie, et est maintenant en situation de concurrence.

La loi de finances du 31 décembre 1985 répond à la question désormais cruciale du financement. Elle autorise en effet le CIH à recevoir le dépôt du public, à consentir des crédits à court terme et à ouvrir des guichets bancaires. Le cadre légal est posé, à charge pour l’institution d’aller chercher elle-même ses ressources, comme toute banque ! La gageure est à la hauteur des enjeux, car c’est la première fois qu’un organisme financier spécialisé va opérer une telle transformation. La date officielle de démarrage de l’activité bancaire est fixée au mois de mars 1988. La mutation est en marche et chaque instant compte.

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