Le tourisme marocain évolue dans les années 1990, amorçant un virage vers une offre plus individualisée, en rupture avec les programmes tout inclus des clubs. À cette évolution s’ajoute un regain d’intérêt pour tout ce qui a trait au patrimoine culturel et à la nature au sens large – randonnée, trekking, observation de la faune et de la flore… Les modes de consommation changent, l’offre marocaine doit s’adapter.Dans cette optique, les pouvoirs publics tentent de diversifier l’offre. C’est l’objet du plan quinquennal de 1988-1992, qui entend favoriser l’émergence d’un tourisme à la fois renouvelé mais aussi capable d’attirer du monde en toute saison, contrairement aux séjours balnéaires qui se concentrent sur une partie somme toute assez réduite de l’année, laissant des infrastructures inoccupées et des zones de loisirs inexploitées. Tourisme de montagne – randonnée, sports d’hiver dans le Haut Atlas, tourisme rural, tourisme de découverte des terroirs et des savoir-faire traditionnels… Tout un éventail de destinations et de possibilités se profile à l’horizon. La prise de conscience est réelle et les choses évoluent, mais c’est sans compter avec la géopolitique internationale qui va limiter, voire anéantir, tous les efforts entrepris.
Le CIH est devenu une banque de dépôt et poursuit sa mue vers le modèle de
banque universelle. Dans le même temps, il maintient son activité de fi nan cement
de nouvelles unités hôtelières. Mais les choses vont radicalement changer avec
la première guerre du Golfe en 1991. L’impact du conflit est catastrophique pour
le tourisme, particulièrement sensible aux tensions extérieures.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes pour montrer l’ampleur de la désaffection des
touristes européens. Entre 1990 et 1991, le taux annuel moyen des séjours chute
de 35,7 % pour les touristes français, de 34,6 % pour l’Angleterre, de 32,7 % pour
l’Allemagne et de 16 % pour l’Italie. Les hôtels se vident désespérément. Et toutes
les activités connexes en subissent les conséquences. La spirale négative est
enclenchée. En effet, les promoteurs hôteliers, très rapidement confrontés à un
lourd manque à gagner, ne peuvent plus faire face à leurs frais fixes et à leurs
créances. Et tout s’enchaîne. Le CIH lui-même n’est plus remboursé. Or il est
également emprunteur et il doit poursuivre sa mission de service public au service
du logement social. De plus, cette crise est concomitante avec le lancement
du Programme des 200 000 logements…
À peine trois ans après le choc de la guerre du Golfe, un attentat est perpétré
à Marrakech le 24 août 1994. Et, fait très symbolique, l’attaque a lieu dans un
hôtel. Cette fois, c’est la destination même du Maroc qui est touchée de plein
fouet.
Le CIH s’adresse naturellement à l’État pour lui faire part de la dégradation plus
que préoccupante de la situation : taux d’occupation en chute libre, cash flow
quasiment nul, échéances en souffrance… Les emprunteurs sollicitent un
rééchelonnement auprès du CIH, qui lui-même se tourne vers l’État, officiellement
garant de tous ces crédits. Celui-ci donne son accord et des conventions sont
signées. Viennent en complément d’autres mesures de souplesse pour aider le
secteur touristique à traverser cette période difficile : suppression des intérêts
de retard et différents autres aménagements. Ce système de compromis perdure
pendant deux à trois ans, tandis que les choses continuent de s’aggraver. Les
protocoles de rééchelonnement ne sont pas toujours respectés. Les procédures
de recouvrement judiciaires traînent en longueur, retardant le règlement des
créances. La restructuration et le rééchelonnement n’ont pas permis d’endiguer
le problème des impayés. Le constat est sans appel : les impayés sur les crédits
hôteliers sont passés de 493 millions de dirhams en 1989 à 3,2 milliards en 1994 !
Après plus de quinze ans de croissance quasi ininterrompue, le tourisme marocain a besoin d’un nouveau souffle, ce qui implique un important travail de restructuration et de modernisation des pratiques. Dans cet esprit, une Journée du tourisme est organisée au CIH en mars 1995. Son objectif est clairement exprimé en avant-propos : « Réfléchir sur le secteur qui traverse une grave crise depuis 1991 suite aux bouleversements de la guerre du Golfe, qui ont
aggravé les problèmes
d’ordre structurel que connaît le secteur. » Sont donc identifiés plusieurs facteurs plus ou moins liés et dont l’accumulation
explique l’impact des tensions internationales. Une grande partie de l’offre est
inadaptée à l’évolution rapide de la demande : les investissements sont en effet
trop onéreux par rapport au profil de la clientèle, ou au contraire insuffisants
dans les structures d’animation et de loisirs. Par ailleurs, les unités hôtelières
existantes ne sont pas suffisamment entretenues et renouvelées. La défaillance
de la formation des personnels est elle aussi problématique ; en arrière-plan,
se pose la question de la gestion hôtelière trop souvent jugée secondaire par
les investisseurs et donc manquant cruellement de professionnels. Enfin, deux
autres sujets entrent en ligne de cause, quant à eux davantage liés à l’extérieur :
l’insuffisance des liaisons aériennes et la politique tarifaire qui, jusqu’à présent,
ne tient pas suffisamment compte de la concurrence des pays méditerranéens
et de l’émergence de grands tour-opérateurs.
Le Maroc aurait pu compter sur une clientèle locale. Mais dans les années 1980,
la priorité a été donnée à la construction d’hôtels 4 étoiles pour répondre à la
demande européenne, et non aux 20 % de touristes nationaux. Si bien que ces
derniers, pas suffisamment pris en compte, ne peuvent compenser la baisse des
arrivées internationales.
Certes, le CIH a mis en place des procédures d’évaluation et de contrôle tout au
long de ces années, mais les contraintes extérieures étaient plus fortes que les
mesures prises en interne. Et au moment où la crise du tourisme se confirme, le
CIH est financièrement fragilisé pour absorber les problèmes conjoncturels et
structurels.