Dans ce début des années 1970, le tourisme et l’hôtellerie sont considérés comme l’un des secteurs clés de la croissance économique. Dès lors, le rôle du CIH, fort du cadre réglementaire issu du Décret royal de décembre 1968, ne va cesser de croître.
Le Maroc dispose de nombreux atouts pour attirer une clientèle abondante.
Premier attrait, sa proximité géographique avec les grands centres européens
pourvoyeurs de touristes : des temps de trajet courts et pas ou peu de décalage
horaire pour ces vacanciers attirés par un climat ensoleillé et agréable tout au
long de l’année. Autre force du Maroc, l’offre variée de plages sur ses côtes méditerranéenne
et atlantique. Le pays peut également s’appuyer sur son patrimoine
architectural important, au premier rang duquel les villes impériales constituent
des destinations phares. Enfin, le Royaume dispose d’un réseau de transport
aérien, terrestre et ferroviaire qui facilite la circulation des voyageurs à travers
les différentes régions.
Conscient de ses qualités et de ses ressources, le Maroc décide de faire du secteur
hôtelier un levier de croissance. Et ce, à l’époque où la notion de « tourisme
de masse » se développe en Europe. Les vacances se démocratisent à partir
de nouveaux modèles économiques. À l’origine de ce phénomène, le pouvoir
d’achat des ménages européens en augmentation grâce à une période de
prospérité économique. La demande existe, elle est identifiée ; le Maroc va y
répondre. Celui-ci entend profiter de cette dynamique et apparaître comme la
destination idéale, notamment pour les Français : une distance raisonnable –
de l’autre côté de la Méditerranée –, un dépaysement lui aussi raisonnable – le
français est couramment parlé –, un coût également très abordable, et du soleil !
En 1966, le très visionnaire Club Méditerranée choisit Agadir pour construire son
premier village « en dur » avec des bungalows, inaugurant ainsi cette nouvelle
forme de tourisme.
Dans ce contexte, le plan quinquennal de 1968-1972 marque une étape décisive.
Il oriente le secteur hôtelier vers le tourisme de masse en mettant en avant le
développement d’équipements hôteliers de moyenne catégorie. Mais les ambitions
des pouvoirs publics sont telles que le secteur privé ne parvient pas à tout
prendre en charge. Et si l’objectif des 1 million d’entrées en 1972 est largement
dépassé – on compte 1,2 million de touristes –, l’augmentation de la capacité
d’accueil n’a pas suivi. Il est impératif de pallier ce déséquilibre et plus glo balement
de satisfaire la demande sur les plans quantitatif et qualitatif.
En même temps que le nouveau plan de 1973-1977 est lancé, le Code des
investissements touristiques de 1973 entend encourager le secteur privé dans
les investissements attendus. Les avantages accordés sont considérables :
réduction des droits d’enregistrement, avances de l’État, ristournes sur les taux
d’intérêt sur les prêts à long terme accordés par le CIH, exonérations diverses,
garanties de transfert… Mais les résultats ne sont pas à la hauteur des mesures
prises. Manque de compétences, frilosité par rapport à un domaine d’activité
encore nouveau, ampleur des investissements requis, délais de montage et de
réalisation trop longs ? Le décalage entre l’ambition des plans de développement
et la situation réelle sur le terrain est incontestable et devient préoccupant car
la demande ne cesse d’augmenter. Autant de facteurs qui confirment l’État dans
sa volonté de confier au secteur public environ un tiers du programme d’investissement
arrêté par le plan de 1973-1977.
Le Maroc moderne se construit et la politique d’investissement massif pratiquée
dans ces années 1970 nécessite le soutien financier d’organismes internationaux.
Le principe d’une intervention de la Bird (Banque internationale pour le
développement et la reconstruction) dans le financement du tourisme remonte à
1965. À cette époque, les opérations s’effectuent par l’intermédiaire de la BNDE
(Banque nationale pour le développement économique du Maroc), le CIH n’étant
pas habilité à recevoir directement les fonds débloqués. En 1966, après plusieurs
mois de négociation, une convention est signée, permettant l’accord d’un prêt
de la Bird directement en faveur du CIH, alors encore CPIM. Fort de ce soutien,
ce dernier a les moyens des ambitions de l’État, et devient plus que jamais un
des instruments privilégiés de l’action gouvernementale dans le domaine du
développement touristique.
La Bird accorde des crédits qu’on appelle des «lignes». En 1970, la ligne s’élève
à 10 millions de dollars destinés aux projets hôteliers.
Une deuxième ligne est
validée, puis une troisième en 1976. En 1980, ce sont 100 millions de dollars qui
sont accordés, et en 1983, encore 60 millions sont injectés pour le dé ve loppement
de projets hôteliers ! Le nombre et la fréquence de ces mesures montrent
bien l’importance stratégique du secteur hôtelier du point de vue des bailleurs
de fonds internationaux.
Pour chaque demande de ligne, une étude de plusieurs mois est lancée. La phase
préparatoire consiste en un état des lieux, qui recense les réussites et les échecs
de la précédente ligne. Le bilan est dressé par zone géographique, par produit
commercialisé et par taux d’occupation. Il s’agit d’adapter au mieux la future
ligne aux besoins du pays et aux évolutions du tourisme mondial. En effet, le
Maroc est une destination importante mais qui évolue dans un univers concurrentiel,
notamment en ce qui concerne les pays du bassin méditerranéen.
Une fois les crédits négociés et accordés par la Bird, une méthodologie très précise est mise en place pour évaluer la qualité des projets et leur adéquation avec les demandes quantitative et qualitative du marché : coûts d’investissement, taux et tarifs des chambres, taux d’occupation, frais d’exploitation, ratios d’analyse, dépenses des touristes en dehors de l’hôtel, coûts d’investissement pour des infrastructures… Tout est soigneusement étudié et consigné afin que les crédits accordés soient bien utilisés. Le secteur hôtelier n’est pas mature ; il doit être encadré aussi bien par le CIH que par la Bird, les deux travaillant conjointement. Les équipes de la Bird effectuent deux fois par an des visites de contrôle sur site. Parallèlement, le CIH procède lui aussi à des vérifications et veille au paiement des échéances de la part des investisseurs hôteliers.
Fortement sollicité et porte-drapeau de la volonté politique, le CIH, dirigé à l’époque par El Habib El Fihri, se dote de nouveaux moyens pour répondre à la demande croissante. En même temps que des filiales sont constituées dans l’immo bilier, des structures dédiées au secteur hôtelier voient le jour. La société Promoconsult est créée pour répondre aux exigences très spécifiques du marché hôtelier des années 1970. Elle étudie les programmes et la rentabilité des dossiers. En aval, la société Safir se spécialise dans la gestion hôtelière, dont on sait qu’elle est souvent défaillante dans le temps, mettant en péril nombre de projets réalisés. Parallèlement, le CIH se rapproche d’investisseurs des États du Golfe, l’apport des capitaux étrangers étant précieux pour l’organisme.
Ainsi, la société
Farah Maghreb a été créée avec des capitaux koweïtiens ; cette joint-venture a
permis de réaliser de nombreux hôtels, dont les Golden Tulip Farah.
Autre acteur de ce paysage naissant : les investisseurs hôteliers privés marocains
qui, comme pour l’immobilier, apparaissent dans les années 1970. Une des missions
du CIH sera dès lors d’accompagner la naissance de cette jeune profession
dans la réalisation de ses projets.
La conjugaison des demandes publiques et privées conduit à l’explosion de
l’activité hôtelière. Entre 1970 et 1979, le CIH a octroyé 710 millions de dirhams
de crédit hôtelier pour la création de 28 152 lits. Quand on sait que le même
CIH avait consenti 60 millions de dirhams en 1966, on mesure le rôle majeur de
l’organisme dans la politique des pouvoirs publics. Et pour la seule année 1981,
ce chiffre atteindra 864 millions de dirhams !
Embryonnaire au début de la décennie 1970, l’activité hôtelière du CIH s’est peu
à peu mise en place pour devenir plus structurée et organisée dans les années
1980. Le CIH utilise ainsi une méthodologie bien précise. Chaque dossier qui
lui est soumis est étudié d’un point de vue technique, juridique et financier. La
décision finale d’octroi ou non d’un crédit appartient au seul comité de direction,
souverain en la matière. Et preuve de l’importance des enjeux, un représentant
du ministère du Tourisme assiste depuis 1969 aux réunions chargées d’examiner
les demandes de crédit hôtelier.