Le destin du CIH bascule au début des années 1980, alors que le Maroc est touché
de plein fouet par une profonde crise économique. L’euphorie des années
1970 est passée. S’ouvre une période d’austérité déployée à travers le plan dit
« d’ajustement structurel » impulsé par le Fonds monétaire international et la
Banque mondiale. Ce plan impacte directement le CIH car il touche à l’organisation
même du paysage financier et bancaire du Maroc. Concrètement, c’est
la fin de l’encadrement bancaire et de la spécialisation sectorielle, et les taux de
crédit sont libéralisés. Désormais, toutes les banques peuvent financer toutes les
catégories de projets immobiliers. Le CIH est à présent en situation de concurrence
! Autant de changements qui aboutissent en 1986 à l’autorisation pour le
CIH de recevoir des dépôts. L’entrée dans les années 1980 marque le début de
l’ère de la mondialisation des économies.<
Au cours de cette période de transformation de toute l’économie nationale, le
CIH est donc confronté à un double défi : opérer cette mue profonde et poursuivre
sa mission originelle de proposer des crédits immobiliers au plus grand
nombre. Il faut dire qu’au-delà de l’enjeu économique, la question du logement
répond à une préoccupation politique. Dans une certaine mesure, la cohésion
sociale dépend de l’état de développement du logement pour la population, et
en particulier pour les catégories les plus fragiles.
En effet, toute personne qui se voit accorder un crédit se sent reconnue, légitime ; elle s’inscrit dans le temps. Dans ce marché devenu concurrentiel, le CIH peut s’appuyer sur une clientèle captive puisqu’ayant déjà un crédit au CIH. Mais qu’en est-il des futurs acquéreurs ? Vont-ils délaisser celui qui incarne depuis des décennies l’immobilier et surtout le logement social ? Malgré les difficultés internes et externes, le CIH parvient à poursuivre sa mission première : favoriser l’accès à la propriété des classes les plus modestes de la population. Pour ce faire, il peut compter sur l’expérience et le savoir-faire accumulés tout au long de ces années. En outre, le CIH peut s’appuyer sur un nouveau crédit accordé en 1984 par la Banque mondiale, qui soutient la politique de l’investissement du Maroc depuis les années 1970. Le CIH dispose ainsi des moyens financiers pour participer au recasement des bidonvilles. Cinq types de logements sont éligibles : le logement embryonnaire, le logement évolutif, le logement individuel moyen, le logement collectif, le logement multifamille. La première réalisation dans le cadre du recasement des bidonvilles concerne 7 000 logements collectifs de Ben M’sik à Casablanca. D’autres projets du même type sont lancés, dont celui de Témara avec 10 000 logements et celui de Fès avec 3 000 logements collectifs prévus.
Suit quelques années plus tard le Programme national des 200 000 logements marqué par le discours volontariste de Feu Sa Majesté Hassan II en 1995. Son objectif est de loger les classes les plus modestes et en filigrane de lutter contre l’habitat insalubre et contre les bidonvilles qui se multiplient. Le programme doit aider toutes ces populations à acquérir un logement. Il s’agit essentiellement des zones urbaines soumises à une pression toujours plus urgente. Le CIH va jouer un rôle central en intervenant à deux niveaux : d’un côté, il solvabilise la demande, de l’autre, il encourage la production de logements à bon marché. La ristourne de l’État permet à l’emprunteur de ne pas subir des taux très élevés à l’époque. Et le CIH développe la logistique nécessaire pour que l’emprunteur n’ait à s’occuper de rien. De 1982 à 1984, pour faciliter l’accès au prêt, le CIH met en place trois innovations : le CIH se charge de récupérer la ristourne directement auprès du ministère des Finances ; il organise le prélèvement à la source pour les fonctionnaires ; enfin, l’assurance-vie est intégrée dans le prêt. Autant de mesures qui permettent au CIH de délivrer des prêts en quarante-huit heures.
Parallèlement, l’État encourage fortement les promoteurs publics, dont les Érac,
l’Agence nationale pour l’habitat insalubre (Anhi)… Séduits par l’éventail d’avantages
financiers et rassurés par l’encadrement prévu par le plan, les promoteurs
privés nés dans les années 1970 commencent à s’intéresser au financement du
logement social. Pour rappel, le CIH est à l’époque le seul habilité à donner
l’a grément aux programmes immobiliers ! La banque joue pleinement son rôle
citoyen.
L’opération Attacharouk est tout à fait symbolique. Le CIH a participé à la gestion
du projet et aux différentes phases de sa réalisation. Nous sommes en 1995 ; il
s’agit de la première opération de relogement. 530 familles sont alors concernées,
qui doivent quitter l’ancienne médina de Casablanca et faire l’objet d’un
recasement. En général, l’État met un terrain à la disposition du promoteur immobilier
moyennant une somme minimale. Pour que ledit promoteur valorise son
acquisition, une opération de péréquation est élaborée : il s’engage à construire
un nombre fi xé de logements sociaux vendus au coût de la construction. En
échange de quoi il peut vendre certaines parcelles bien situées, dégageant ainsi
des bénéfi ces. L’objectif est d’attirer des financements privés.
Les règles de financement de l’habitat social changent en 2004. En effet, la mise en
place du nouveau paysage bancaire et financier du Maroc implique la poursuite du
désengagement de l’État et de la libéralisation du marché. En outre, au vu de l’ampleur
des besoins, le CIH ne peut être le seul financeur ; le spectre du financement doit
être élargi, notamment en encourageant les autres banques. Enfin, un rapport de la
Banque mondiale met en lumière que toute une partie de la population n’a pas été
impactée par le Programme des 200 000 logements, à savoir les personnes qui ne
peuvent justifi er de revenus réguliers ou formels – marchands ambulants, vendeurs
dans la rue, couturiers… À tous ces gens-là, l’accès au crédit demeure impossible.
Le Fonds de garantie immobilier (Fogarim) est créé en 2004. L’État marocain continue
à encourager le financement du logement social, mais il procède dif fé remment.
Il change de logique et intervient non plus en amont – par un système de ristourne
– mais en aval – par la sécurisation du crédit. L’État garantit les impayés de 70 à
80 %, sécurisant ipso facto les banques désireuses d’investir dans le secteur. La
prise de risque est ainsi considérablement limitée. Et effet indirect de la mise en
oeuvre du Fogarim : la fin de la procédure de demande d’agrément en vigueur auparavant.
Celui-ci n’avait de sens que lorsqu’il y avait ristourne d’intérêt de l’État ;
ladite ristourne permettait alors de réduire le taux d’intérêt de la banque. Avec
la mise en place d’une garantie, les banques n’ont plus besoin de pratiquer des
taux élevés ; ces derniers vont même baisser naturellement. L’économie pour les
pouvoirs publics est très substantielle puisque le fonds de garantie n’a pas pour
vocation de subventionner. Et son financement est totalement assuré par une taxe
prélevée sur chaque sac de ciment vendu !
Au coeur de ces changements de paradigme, le CIH va une nouvelle fois poursuivre
son action. Certes, il n’est plus le seul à pouvoir financer les projets immobiliers.
Mais les promoteurs ne s’y trompent pas. Ils savent qu’ils ont affaire à une
équipe expérimentée, forte d’un savoir-faire unique au Maroc. D’ailleurs, le CIH
est un acteur majeur du programme « Villes sans bidonvilles », initié en 2004
dans la logique de la création du Fogarim.
Cette période succède à la crise connue dans la décennie précédente. Car derrière
tous ces programmes, il y a beaucoup de promoteurs publics et privés qui
commencent à ne plus payer leur dette, confrontés eux-mêmes à une baisse
constante de leurs revenus. Les programmes se vendent moins bien, voire plus
pour le haut standing. La crise consécutive à la guerre du Golfe a contaminé en
quelques années l’ensemble du secteur immobilier. Conséquence d’une offre
supérieure à la demande, la chute inexorable des prix. Le CIH voit les créances
douteuses se multiplier. Et rien n’y fait. Même pendant la période de restructuration,
ce dernier maintient son action en faveur du logement destiné aux populations
les plus modestes. S’arrêter ? Les équipes du CIH n’y ont jamais pensé ;
ce serait renier leur identité originelle. Et le CIH a su traverser cette crise tout
en gardant sa mission de logement. Et puis si le CIH avait cessé son activité, il
aurait de fait renoncé à tout son savoir-faire, à sa capacité à traiter ce genre de
dossier très spécifique, à accompagner les populations fragiles… Un véritable
patrimoine pour la banque, dont les pouvoirs publics ont pleinement conscience
puisqu’ils ont contribué à son refinancement et à terme à son maintien dans le
paysage bancaire national.
Le CIH est devenu CIH Bank. En 2010, le CIH opte pour la banque universelle et
se dote d’un nouvel organigramme au sein duquel la Banque de l’Immobilier a
pour mission de prendre en charge le financement du secteur de l’immobilier. Le
champ d’action de celle-ci se répartit donc entre le financement des promoteurs
et celui des particuliers. L’activité de l’immobilier représente une part importante
de l’activité globale. L’objectif à terme est d’équilibrer toutes les activités de la
banque, mais cela ne doit pas se faire aux dépens de l’immobilier qui demeure
l’ADN de CIH Bank. L’idée est plutôt de se renforcer dans les autres secteurs,
voire d’aller plus vite. Le processus de rééquilibrage est long, étant donné la
nature même des prêts immobiliers. En effet, ce sont le plus souvent des prêts à
long terme qui impactent durablement l’activité générale de la banque.
Et puis maintenant que CIH Bank est une banque universelle, le secteur immobilier
est ce qui fait sa différence, voire sa valeur ajoutée par rapport à la concurrence !
Il faut dire que l’expertise et le savoir-faire de la banque, accumulés pendant près
d’un siècle, demeurent incontestés, aussi bien au niveau de la population que
des professionnels du secteur. Fort de ces atouts, CIH Bank demeure un acteur
important du financement de l’immobilier. Quant aux autorités compétentes,
elles sollicitent régulièrement les équipes de la banque lors de l’élaboration de
nouvelles lois en matière de financement de l’immobilier. Dans un Maroc moderne connaissant une urbanisation massive et croissante,
l’activité immobilière est appelée à rester prépondérante sur le marché
bancaire. CIH Bank entend renforcer sa présence et exercer un véritable leadership
en matière de financements immobiliers sur différents marchés. Ainsi,
elle développe de nombreux produits immobiliers destinés à des catégories
sociales variées.
CIH Bank s’adresse également aux catégories plus aisées. Les cadres marocains représentent une clientèle au pouvoir d’achat attractif. En outre, le Maroc s’est largement internationalisé ; ses métropoles accueillent nombre d’hommes d’affaires étrangers, demandeurs de logements haut de gamme, répondant aux critères de confort européens. Les immeubles de standing, de taille moyenne, rencontrent un net succès. Et pour les investisseurs – souvent des particuliers aisés –, cette tendance permet un investissement locatif très intéressant. Autant de projets et de programmes financés par CIH Bank après examen minutieux du dossier et de son modèle économique. Quant au logement social, il représente encore 60 % de l’activité immobilière de la banque. Et CIH Bank demeure leader sur le marché des prêts sociaux, même si ce n’est plus son coeur de métier. Depuis son lancement en 2004, le Fogarim a été complété par d’autres produits et dispositifs. Il faut en effet répondre à la demande d’une population jeune qui vient vivre en ville pour travailler, mais qui ne bénéficie pas de salaires très élevés. Ces logements sociaux concernent les jeunes actifs. Les enjeux sont colossaux.
Et nombre de promoteurs l’ont compris,
voyant dans cette niche une manne bienvenue après l’effondrement du haut
standing avec la crise de 2008. Effet bénéfique de cet engouement : la montée
en qualité des programmes. Les futurs acquéreurs sont désormais en mesure de
comparer les produits proposés et de choisir la situation géographique. Auparavant
, l’offre était tellement restreinte que l’on obtenait un logement social
sans se soucier de son emplacement, quand bien même il ne correspondait pas
aux envies ni aux contraintes géographiques liées à son emploi. Parallèlement,
l’État a mis en place depuis quelques années un accompagnement social dans
le processus d’accession à la propriété. La question de la vie en copropriété est
mieux acceptée, l’habitat vertical est mieux compris. De même, les obligations
de remboursement inhérentes à ce genre de prêt. Grâce à ces mesures, le taux
de défaillance des dossiers de CIH Bank est très faible. À cet égard, l’opération
Al Koura lancée à Rabat en 2008 est une réussite ; il s’agit d’une opération de
recasement dans le cadre des « Villes sans bidonvilles ». Là, CIH Bank finance et
le promoteur et les acquéreurs.
Après presque cent ans d’existence, CIH Bank est indissociable de l’immobilier
et de l’urbanisation au Maroc. Mais au-delà, elle a permis à plusieurs générations
– et en particulier aux plus modestes – d’accéder à la propriété, faisant dès
lors partie de leur vie. Cette image très présente dans l’inconscient collectif lui
confère la légitimité de la reconnaissance populaire. Aujourd’hui, CIH Bank, qui
s’est ouverte à d’autres activités que l’immobilier, a réussi à devenir une banque
avec une image de modernité et de dynamisme, sans pour autant perdre son
âme ni renier tout ce qu’elle a fait.