Partie 2
LES DÉBUTS DE LA CPIM
Chapitre 1 : LE LEVIER DU DÉVELOPPEMENT DU LOGEMENT AU MAROC

La Caisse de prêts immobiliers (CPI) est créée en 1920. Elle s’inscrit dans le paysage financier et économique du Maroc qui dispose depuis 1906 d’une banque centrale, la Banque d’État du Maroc. Installée à Tanger, cette dernière a pour mission d’émettre des billets de banque et d’être le trésorier-payeur de l’État. Elle est en outre l’une des conséquences directes de l’acte d’Algésiras qui a défini les réformes nécessaires dans le domaine administratif, économique, fiscal, sécuritaire, judiciaire et militaire. En ce début de XXe siècle, le Royaume connaît donc de profondes mutations.
C’est dans ce contexte de changement que la CPI est établie. C’est une émanation du Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie (CFAT), lui-même fondé en 1880, et dont des membres sont présents au conseil d’administration de la nouvelle société. À la tête dudit conseil d’administration composé de cinq à douze membres, des hauts fonctionnaires et des hommes d’affaires français. Édouard Picanon, inspecteur général des colonies du cadre de réserve, est nommé à la présidence. Eugène Fages de La Tour est vice-président ; Jean Andrieux et Edmond Philippar représentent le CFAT, Auguste Terrier est administrateur, Auguste Grillot, administrateur délégué, et Édouard Gendre, administrateur directeur.
Parallèlement, est créé un comité de direction siégeant au Maroc, et plus précisément au 101, rue Blaise Pascal – aujourd’hui rue Prince Moulay Abdellah – à Casablanca : il doit assurer le lien entre les décisions initiées à Paris et le niveau local. Les échanges de courriers entre les deux villes sont très fréquents.

Le logement : une mission prioritaire

La fondation de la CPI a lieu alors que le traité de Fès a établi le protectorat français sur le Maroc depuis le 30 mars 1912. Le maréchal Lyautey est devenu le premier résident général auprès du sultan du Maroc.

Procès-verbal de l’assemblée générale constitutive de la CPI datée du 26 mai 1920, devenue CPIM en 1924.
« Succursale de Casablanca ». Carte publicitaire de 1925 pour le Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie.

Dès lors, à l’image de ce qui a déjà été fait dans les autres colonies, les autorités entendent développer tous les secteurs de la vie politique, sociale et économique. Mais avant de lancer d’ambitieux programmes de développement, l’urgence est au logement des tout premiers colons.
L’enjeu est de taille ; tant et si bien que l’une des premières mesures prises par les autorités concerne les lots de colonisation. Un dahir de 1913 met en place le système d’immatriculation foncière : il permet à quiconque possédant un bien immobilier de s’adresser aux services de la Conservation foncière pour obtenir un titre de propriété définitif et inattaquable. Est ainsi remplacé l’ancien système qui fonctionnait sur des documents privés ou autres faisant preuve. Place désormais au cadastre et au service de la topographie qui se déplace pour dresser un plan des lieux extrêmement précis. Le protectorat entend rassurer les colons venant s’installer et leur garantir que personne ne sera en mesure de contester leur droit. C’est la première fois que ce système est mis en place, et il témoigne de la volonté de l’État français de faire du protectorat le modèle d’une administration dite «moderne».
Avec la CPI, les procédures s’organisent. Concrètement, les sociétés d’habitations à bon marché sont habilitées à emprunter auprès de la CPI, à laquelle elles soumettent des dossiers comportant les devis de construction et le plan financier élaboré. La CPI débloque les fonds nécessaires au fur et à mesure de l’avancement des travaux, et ce sur la base de la valeur de la garantie du terrain et des constructions prévues. En échange, l’hypothèque constitue la garantie de crédit.

Le maréchal Hubert Lyautey, premier résident général du protectorat français au Maroc dînant avec le sultan Moulay Youssef à sa table pendant la guerre entre le Maroc et l’Espagne, en 1925. Derrière le résident général se trouve Ben Ghabrit, ex-fonctionnaire à la légation française de Tanger, détaché auprès du sultan et futur recteur de la mosquée de Paris.
«Au niveau du logement, on était toujours les précurseurs.»

Globalement, les montants des prêts accordés sont relativement faibles et ne dépassent pas souvent 100 000 francs. Leur durée est de dix à quinze ans. On voit alors des dossiers déposés pour des habitations ou des villas. « Villa Renée », « propriété urbaine dénommée Madeleine », « propriété urbaine dénommée Roger », « villa des roses », « villa Suzie », « villa Charlotte »… un florilège de prénoms majoritairement féminins pour des constructions alors pleines de promesses ! Le bilan au bout de quatre ans demeure modeste : 157 villas, 143 appartements et 33 magasins réalisés.

Acteur clé du développement de l’agriculture

Durant cette première période, les autorités du protectorat ont élaboré de vastes programmes de développement qu’elles entendent désormais mettre en oeuvre et déployer dans tout le Maroc. C’est dans cette perspective que la CPI devient en 1924 la Caisse des prêts immobiliers du Maroc (CPIM). L’objectif est de doter le pays des infrastructures administratives et techniques idoines pour servir la stratégie économique globale dessinée. Et une fois encore, cela implique l’installation massive de colons.
Les programmes donnent la priorité au développement de l’agriculture. Les terres doivent être plus et mieux exploitées pour créer un secteur économique complet. Commencent alors de grands chantiers, comme la construction d’un réseau routier et ferré afin de permettre la circulation des personnes et des marchandises ; comme l’édification des barrages sur l’oued Beht, dans le Gharb, l’oued Nfis dans le Haouz et l’Oum Er-Rbia, dans le Tadla. À terme, ils garantissent une meilleure irrigation des terres que les colons vont ainsi pouvoir valoriser. Les colons : ils sont à nouveau les acteurs clés de toute la stratégie de développement impulsée et soutenue par le protectorat. Sans eux, rien n’est possible. Il faut faire venir des familles ; il faut les encourager et les rassurer sur les investissements qu’elles seront amenées à faire. Le dahir du 25 novembre 1925 est censé répondre à ces besoins, en mettant en place un système de crédits destinés à soutenir les futurs acquéreurs de lots de colonisation immatriculés ou en instance d’immatriculation. Et pour mettre en oeuvre cette aide matérielle, les autorités se tournent alors vers la structure déjà existante, en l’occurrence la CPIM, l’autorisant à financer dorénavant l’agriculture avec un système de ristournes.

Le registre des assemblées générales de la Caisse de prêts immobiliers (CPI), dans les années 1920 ; Bulletin officiel de l’Empire chérifien datant du 13 mars 1928 sur lequel sont indiquées les modifications apportées aux statuts de la CPIM.
Affiche publicitaire pour la société allemande de constructions métalliques pour travaux hydrauliques MAN (Maschinenfabrik Augsburg-Nürnberg), années 1940.
Début de la pénétration française au Maroc (1907-1914); bergers et troupeaux sur une route.

Le fait que cette décision émane d’un dahir et non d’une décision de l’assemblée générale de la société montre que déjà – et l’avenir le confirmera – la CPIM est considérée comme un instrument essentiel au service du politique. Le système va bien fonctionner. En témoignent ces chiffres : en 1930, 80 % des crédits octroyés profitent aux propriétés agricoles. Les projets en zone rurale vont connaître un réel succès, preuve s’il en fallait de l’attrait des colons pour les terres fertiles du Maroc. Dans un pays fortement rural, disposant de secteurs secondaire et tertiaire alors limités, ces derniers voient dans l’activité agricole de meilleurs investissements. Et ce d’autant qu’une partie de la production est destinée à la métropole, garantissant ainsi un débouché régulier et sécurisé. Dans la même période, un autre dahir concerne plus particulièrement les prêts à l’aménagement, à la transformation et à la construction de petites exploitations rurales ; ces derniers étant destinés jusque-là aux lots de colonisation. La mesure s’adresse aux anciens combattants, aux veuves de militaires, aux anciens marins titulaires d’une pension d’invalidité et à tous les ayants droit à des pensions octroyées par l’État français. Le protectorat entend s’appuyer sur ces populations, déjà présentes sur le sol marocain ou encore en France, pour exploiter les petites exploitations agricoles dans tout le Maroc. Les prêts très avantageux sont à long terme et bénéficient d’importantes ristournes.

Une action élargie et renforcée

De 1925 à 1930, la période est éminemment politique et on assiste à une floraison de dahirs destinés à soutenir la CPIM à qui l’on confie de plus en plus de missions et qui agit comme organisme d’exécution. La CPIM a la confiance des autorités politiques, elle est installée et organisée ; elle fonctionne bien. En outre, sa santé financière est excellente. C’est dans cette perspective qu’en 1928, l’État lui confie une mission à caractère social. Il s’agit de consentir des prêts pour la construction d’habitations salubres à bon marché. C’est la première fois que ce terme apparaît. La branche est très spécifique et a été mise en place par l’administration du protectorat pour encourager la population à obtenir des crédits afin de se loger dans de bonnes conditions économiques. Ce sont des crédits sur trente ans subventionnés par l’État. Le futur habitat bon marché des années 1960 est en germe…

Chargement de mules au port de Casablanca pendant la colonisation française en 1914.

La CPIM se voit attribuer une mission supplémentaire en 1930 : le transport maritime. Le dahir du 20 août l’autorise dorénavant à « effectuer, contre garantie hypothécaire maritime, des prêts d’une durée maximale de dix ans aux propriétaires de navires de mer de 10 tonneaux de jauge brute et au-dessus sous pavillon chérifien ». Une nouvelle fois, il s’agit de soutenir la croissance de l’économie du protectorat français en constituant une flotte maritime d’envergure, capable de soutenir les exportations – matières premières marocaines dont le phosphate, production agricole – et les importations – produits manufacturés français trouvant sur le sol marocain un nouveau débouché. Mais comme il s’agit d’un secteur extrêmement spécifique et technique, la CPIM s’assure le concours du Crédit fluvial et maritime de France spécialisé dans cette branche d’opérations.
Les augmentations de capital successives et rapprochées illustrent par fai tement le rôle exponentiel joué par l’institution. Le capital initial s’élève à 250 000 francs en 1920. Il est de 2 millions de francs en 1924, de 3 millions en 1925 et de 4 millions en 1926. Un an après, il passe à 10 millions de francs ! À l’origine de cette importante augmentation, une activité en pleine expansion : 43 millions de francs de prêts à long terme sont accordés en 1927, contre 19 millions en 1926. Et deux ans plus tard, le capital social est encore augmenté, passant à 20 millions de francs.

L'urbanisation en marche

Les deux décennies qui suivent ne modifient pas le fonctionnement de la CPIM qui poursuit son action sous l’égide de Monsieur Renaudin et qui commercialise de nouveaux produits pour répondre à des besoins en constante évolution et à une poussée démographique continue. Les prêts à la construction aux anciens combattants et aux victimes de guerre sont mis en place le 4 juillet 1949. L’objectif est de permettre à ces populations directement impactées par la Seconde Guerre mondiale de construire leur logement individuel et de les inciter à venir s’installer au Maroc, quand ils sont originaires de métropole. Autre produit nouvellement proposé par la CPIM en 1949, les prêts à la construction, qui doivent faciliter l’accès à la propriété aussi bien aux Européens qu’aux Marocains.

Affiche publicitaire ancienne pour le Cabinet immobilier Jacques Elmaleh à Agadir, vers 1950. Illustration de Jean Thevenel, 60 x 80 cm, XXe siècle.
Dossier de demande de prêt dans le cadre des habitations à bon marché datant des années 1950.

La suite de prêts mise en place ultérieurement permet aux clients de la CPIM de céder leurs biens avec continuation du prêt consenti au profit du nouvel acquéreur. Peuvent profiter de cette mesure les anciens combattants, les victimes de guerre ou les candidats aux habitations salubres et à bon marché. Il faut toujours fluidifier davantage le marché pour maintenir la dynamique impulsée.
Dernier point, le dahir du 16 octobre 1951 autorise le financement des prêts pour les coopératives d’habitation. C’est le début d’un nouveau mode de logement, inédit parce qu’intégrant la notion de programme de logement collectif, et qui va connaître un succès croissant. D’ailleurs, dans la même perspective, l’arrêté du 17 septembre 1954 étend l’octroi des prêts aux anciens combattants et aux victimes de guerre à l’acquisition d’un appartement en copropriété – dans les immeubles édifiés avec l’agrément de la commission administrative compétente – et non plus seulement pour un logement individuel. La modernisation du Maroc est déjà en marche. Outre ce rôle direct en faveur du logement, la CPIM est devenue un acteur majeur de l’urbanisation du Maroc. Par la diversité et l’ampleur croissante de ses missions, l’institution contribue depuis l’instauration du protectorat à l’architecture des villes et à leur organisation. À la veille de l’Indépendance, la CPIM affiche un dynamisme certain. Et son action a résolument accompagné le développement du Maroc sous protectorat français. Déjà, la CPIM a commencé à façonner le logement du pays. En témoignent quelques chiffres symboliques. Les prêts à la construction présentent en 1959 un encours de près de 3 milliards de francs. Les prêts aux habitations à bon marché sont passés entre 1940 et 1959 de 110 millions à 1,8 milliard de francs. Les prêts à long terme, quant à eux, sont passés sur la même période de 262 millions de francs à 1,7 milliard de francs. Et les crédits à moyen terme affichent un encours de 1,5 milliard de francs ! Autant d’indicateurs qui montrent déjà les liens étroits entre la CPIM et l’histoire du Maroc, et son rôle dans la promotion de l’immobilier au Maroc. À partir de l’Indépendance de 1956, un autre avenir va se dessiner pour la CPIM.

Vue aérienne partielle de la Cité Sidi Othman à Casablanca, vers 1953-1954.
Panorama de la ville de Casablanca dans les années 1930. Au premier plan, le cinéma Vox et au fond, l’église du Sacré-Coeur.
Discours de la Fête du Trône, le 18 novembre 1955 à Rabat, prononcé par Sa Majesté le Roi Mohammed V devant son peuple et lui annonçant l’indépendance du Royaume deux jours après son retour d’exil.
LES COOPÉRATIVES D’HABITATION

Parmi toutes les coopératives soutenues par l’État, les coopératives d’habitation ont permis l’accession à la propriété de nombre de Marocains depuis 1951. L’objectif de ces associations à but non lucratif est de faciliter l’acquisition de logements, sociaux ou non. Elles constituent un moyen et non une fin.
Plusieurs personnes se réunissent, afi n d’acheter ensemble un terrain sur lequel elles ont décidé de construire. Il peut s’agir d’un logement social, de villas de standing… Des plans sont réalisés, puis présentés à la Commission de l’urbanisme qui donne son aval. Les membres de la coopérative sollicitent alors le CIH pour le fi nancement de leur projet. Après une étude technique, les équipes du CIH estiment le montant total des travaux. C’est à partir de ce coût global fi xé en amont de la réalisation que la part de chacun est calculée. Ce processus ne fait pas intervenir de promoteur immobilier ; le bureau de la coopérative fait appel à des entreprises de construction qui vont gérer notamment les travaux de viabilisation du terrain pour l’ensemble des adhérents. C’est un gain de temps et d’argent ! Une fois que la construction est achevée et que chacun a remboursé son crédit, la coopérative est dissoute, laissant place à un ensemble de logements privés.

Au fur et à mesure que les années passent, les coopératives d’habitation connaissent un réel succès. Mais, corollaire de cet engouement, les limites du système apparaissent : de nombreux problèmes sont liés au fait même que le crédit accordé est global. En effet, tous les adhérents ne remboursent pas avec la même régularité : certains sont défaillants car confrontés aux aléas de la vie, d’autres manquent de « zèle » en la matière. En 1995, les règles changent. Désormais, il y aura autant de crédits – et donc d’hypothèques – que d’adhérents. Le système de suivi est plus fi able et la procédure de mainlevée de l’hypothèque – une fois que le crédit individuel est entièrement remboursé – est accélérée. Mais rien ne change en ce qui concerne l’éclatement à terme du titre foncier. C’est le CIH qui donne son accord pour l’opération de mutation des titres fonciers individuels en faveur des adhérents propriétaires. Durant ces cinquante dernières années, les pouvoirs publics ont fortement développé l’offre de fi nancement en matière de logements, retirant peu ou prou l’attrait des coopératives d’habitation. Mais les coopératives d’habitation demeurent un symbole de la politique volontariste de l’État pour permettre au plus grand nombre d’accéder à la propriété, une étape essentielle dans la vie de tout un chacun.

Contrat de prêt à la construction signé en 1952 entre la CPIM et son client.
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