Partie 2
DES CHOIX AUDACIEUX
Chapitre 3 : LE DÉFI RÉUSSI DE LA BANQUE UNIVERSELLE
Une banque made in CIH

Commence dès lors une réflexion sur la stratégie à mettre en place pour répondre au mieux à ce nouvel environnement. La conclusion est aussi claire que décisive : le CIH doit changer de modèle et pour y parvenir, deux modes opératoires sont possibles. Le premier consiste à racheter une banque de petite taille et à absorber son activité au sein du CIH, conservé tel quel. La difficulté se situe alors au niveau de la confrontation de deux systèmes existants marqués chacun par leur process et leur culture. Le deuxième consiste à créer sa propre banque de dépôt, en se transformant de l’intérieur. C’est la voie choisie par Othman Slimani, président du CIH depuis 1979. Certes la tâche semble plus importante et plus ardue. Mais elle est aussi plus ambitieuse et porteuse d’une vision à long terme, celle d’une banque de dépôt performante et moderne.

Conscient de l’ampleur et des enjeux du chantier, le président anticipe et procède dès 1984 au recrutement de jeunes cadres compétents. Ils ne viennent pas forcément du secteur bancaire, mais sont de formation supérieure avec des profils diversifiés. Ils ont tous envie de relever le défi et de jouer un rôle moteur dans ce qu’ils appréhendent déjà comme un projet inédit. Et comme tout nouvel arrivant au sein du CIH, ils commencent par une formation générale d’un an au cours de laquelle ils apprennent les process bancaires, le fonctionnement du CIH… Ces embauches qui représentent un gros investissement budgétaire sont néanmoins nécessaires pour impulser et préparer le changement durant les quatre années qui séparent le CIH de l’ouverture de son réseau d’agences. Après le temps de l’élaboration des réformes vient celui du déploiement effectif. Pour le président, il est essentiel de mettre les compétences au contact du terrain.

Afin de préparer au mieux cette nouvelle étape, ces mêmes cadres suivent une formation spécifique pendant six mois. Ainsi, lorsque les agences ouvrent officiellement en mars 1988, les cadres se rendent sur site et impulsent les changements au niveau de toutes les procédures internes et des pouvoirs de gestion. Un peu plus de deux ans seulement séparent la phase de préparation du lan cement opérationnel, et ce changement n’aurait pu avoir lieu sans l’implication des équipes existantes. Le charisme et la pédagogie d’Othman Slimani ont aussi joué un rôle essentiel. Loin d’ignorer les appréhensions naturelles face à un tel bouleversement, le président a pratiqué la bienveillance et l’encouragement. Il a gagné le respect et la confiance des collaborateurs. Tous oeuvrent dans la même direction. Et pour que les transformations soient pérennes, le président demande aux cadres de passer plusieurs années – jusqu’à dix ans – au sein des agences, avant de revenir travailler au siège.

« Je suis rentré au CIH, parce qu’il y avait un vrai projet d’entreprise. »
Informatiser pour demain

Autre choix hautement stratégique d’Othman Slimani, celui de l’informatique. Dès son arrivée en 1979, cet outil apparaît au président comme la solution adéquate pour faire entrer le CIH dans la modernité et prendre un temps d’avance sur la concurrence. C’est le début d’un processus qui va durer, qui ne s’arrêtera jamais et qui va même être l’une des valeurs ajoutées du CIH. Et sa concomitance avec les transformations structurelles imposées par la conjoncture économique nationale ne fera que confirmer la nécessité de la modernisation et amplifier le mouvement. À l’époque, l’équipe informatique représente près de 10 % des effectifs globaux !

Elle est gérée directement par la présidence, car les évolutions informatiques sont stratégiques et déterminantes pour le futur de la banque. La première révolution s’appelle FC 00. Grâce à cette technologie, les premiers systèmes de gestion de crédit sont mis en place. Tout était jusqu’alors manuel, donc plus lent et davantage soumis aux erreurs humaines. Maintenant, les procédures sont normalisées, les méthodes d’octroi des prêts harmonisées entre les différentes régions et le traitement des crédits au niveau des agences est facilité. En parallèle, les informaticiens conçoivent le premier système d’information sur lequel s’appuiera la nouvelle banque de dépôt. Il s’appelle TopBank et concerne essentiellement les opérations bancaires. En effet, tout peut légitimement

paraître compliqué et fastidieux à qui n’a jamais fait d’opérations de caisse bancaire. Or c’est le cas pour la très grande majorité des équipes du CIH qui n’ont eu jusqu’alors à traiter que des remboursements de crédit. Avec TopBank, tout est informatisé, depuis le reçu informatique jusqu’à la position automatique du compte. La plate-forme centrale gère l’ensemble des données en circulation. La valeur ajoutée est essentielle non seulement pour les agences, mais aussi pour les distributeurs automatiques déployés progressivement. L’informatisation est donc la voie à privilégier : elle assure la fiabilité des opérations effectuées, permet un gain de temps et installe l’image d’un CIH moderne, bien qu’encore novice sur le marché bancaire !

« En deux ans, nous avons réussi la gageure de changer structurellement toute la société. »
En pointe sur tous les fronts

Un système d’information, un réseau d’agences… autant de pierres indispensables à l’édifice mais insuffisantes. Encore faut-il que la banque dispose de produits attractifs pour séduire la clientèle. Tout est à créer. Le CIH est observé par les autres banques de la place qui ne le prennent pas vraiment au sérieux. Curiosité, teintée de scepticisme, voire de condescendance !
Car non seulement le CIH monte une offre produits mais en plus, il prend la concurrence de court. Pendant les deux ou trois années de préparation, la direction laisse courir le bruit selon lequel la banque va se cantonner aux catégories les plus populaires, aux populations des programmes sociaux. C’est un coup de tonnerre lorsque le CIH dévoile son premier produit, le compte chèque logement. Le client dépose de l’argent et reste entièrement libre quant à son utilisation. Mais si au bout de trois ans, il souhaite souscrire un emprunt pour un logement, alors il reçoit trois fois la moyenne de la somme versée sur le compte. Ce produit est ouvert à l’acquisition d’un terrain, d’une résidence secondaire, d’un logement ancien, alors qu’auparavant les crédits accordés étaient réservés au financement d’un logement neuf uniquement. Le CIH s’adresse donc aux catégories aisées !

Hall d’entrée de l’extension du siège du CIH à Casablanca, août 2009.
Arrivée d’une cliente à l’agence CIH 2 Mars à Casablanca, septembre 2009.

Le CIH aurait pu se concentrer exclusivement sur le chantier de la transformation, mettant en veille le reste de ses activités traditionnelles. Tant s’en faut. En même temps que certaines équipes oeuvrent à la mise en place des nouvelles structures, d’autres ont pour mission de développer des produits de financement immobiliers. Bien que cela puisse paraître osé pour une si petite institution, a fortiori dans une période de transition, cette stratégie s’inscrit parfaitement dans la vision d’Othman Slimani. De nouveaux produits sont donc élaborés et commercialisés pour l’acquisition, la construction, le logement social. Le produit Iskane, lui, s’adresse aux personnes qui ouvrent un compte épargne. Une fois celui-ci suffisamment alimenté, l’accès au crédit en vue de compléter le financement d’un logement est facilité.
Le CIH réussit donc la gageure de développer son activité commerciale tout au long de ces années de mutation. Les chiffres des dépôts sont tout à fait révélateurs de la dynamique impulsée : 1,125 milliard de dirhams deux ans après le démarrage de son activité banque, et 4,122 milliards en 1995!

OTHMAN SLIMANI, UN VISIONNAIRE HUMANISTE

Plus de vingt ans après son départ du CIH, Othman Slimani continue de susciter respect et émotion, et ce, aussi bien auprès de ses anciens collaborateurs que de la nouvelle génération. Preuve s’il en fallait, la standing-ovation lorsque le film consacré aux périodes fondatrices de la banque et présenté à la convention de mai 2014 évoque l’action du président. L’histoire commence en 1979, lorsque cet ancien professeur d’université, puis secrétaire d’État aux Finances, est nommé à la tête de l’institution. Un intellectuel brillant, « un gabarit », qui va devenir un leader aux qualités managériales remarquables. Très rapidement, il met en oeuvre sa vision innovante de ce que doit devenir le CIH à l’orée des années 1980. En effet, lui qui est féru de nouvelles technologies est convaincu que l’avenir de l’économie globale et donc de l’institution passe par l’intégration généralisée de ces outils. Fort de cette stratégie avantgardiste pour l’époque, il impulse l’informatisation des métiers et des procédures. Un vaste chantier et un investissement massif – tant au niveau des hommes que des systèmes – qui s’avéreront décisifs lorsque quelques années plus tard,

le CIH devra se transformer en banque de dépôt. Othman Slimani a géré cette mutation de l’organisme financier spécialisé en banque avec autant de professionnalisme que d’humanité. L’humanité, le respect de la dignité des salariés comme des emprunteurs, sont les valeurs qui animent l’homme et qui ont contribué à son charisme. C’est à son initiative qu’en 1979 l’assurance-vie est rendue obligatoire, pour protéger les emprunteurs les plus fragiles. Tout au long des quatorze années de présence au sein du CIH, Othman Slimani n’a cessé de travailler au développement de son pays, parce qu’il croyait à un Maroc dynamique, plus riche et plus juste. « Il a vraiment marqué l’histoire du CIH », «Un homme sensible à la réussite professionnelle des jeunes et à l’insertion des femmes cadres », « Sa gestion était bienveillante avec un esprit d’émulation », « Un mythe, un vrai leader ; les gens l’adoraient parce qu’il a fait beaucoup pour le CIH ; c’était un homme respectable », « J’ai tellement entendu parler de lui comme un symbole, de la part de personnes de tout horizon» : un florilège de citations qui parlent d’elles-mêmes.

M. Othman Slimani, PDG du CIH, dans son bureau au début des années 1990.
Une nouvelle culture s’impose

Le processus de transformation intervient à tous les niveaux et pour réussir, il doit irriguer toutes les strates de CIH. Dans cette perspective, la dimension technique, indispensable au nouveau fonctionnement opérationnel, ne peut se suffire à elle-même. Le changement passe forcément par les femmes et les hommes qui sont le socle du CIH. Or ces derniers ont à relever un double défi : acquérir de nouvelles compétences et changer de culture.
Depuis 1959, le CIH était un organisme financier spécialisé. Les gens venaient à lui pour obtenir un crédit immobilier. De leur côté, les collaborateurs géraient les dossiers qui leur étaient confiés et s’assuraient du bon remboursement des crédits engagés. Dorénavant, rien n’est acquis. Il faut conquérir des clients et des marchés.
Avec l’ouverture à la concurrence, au début des années 1990, tout change radicalement. Le CIH perd son monopole et n’est donc plus garanti d’élargir sa clientèle, pire de la conserver. Or rien n’est possible sans le client. Les collaborateurs en place doivent impérativement intégrer cet élément devenu central. Mais comment parler à un client ? Comment le convaincre de choisir le CIH pour ouvrir un compte dans une banque si jeune ? Quelle terminologie employer ? Toutes ces questions apparemment très simples dans un établissement bancaire sont au coeur des préoccupations des équipes du CIH.

Pour y répondre, la direction mise sur la pédagogie et met en place un plan de formation massif. Les équipes vont apprendre à « penser client » ! Elles passent plusieurs semaines dans une agence pilote où elles s’entraînent à parler, à écouter, à échanger. Tout se passe comme si elles avaient affaire à de vrais clients venus pour ouvrir un compte. Le challenge est de faire de cette éventualité une réalité ! C’est dans cette volonté d’insuffler une nouvelle culture que le président Slimani impose aux cadres dirigeants de passer quelques heures chaque jour à l’accueil pour y recevoir les clients. Une décision totalement inédite dans un établissement bancaire. Pour le président, tout le monde doit se sentir concerné. C’est la clé de la réussite. Tout métier et tout niveau confondus, les collaborateurs ont un rôle à jouer dans la transformation du CIH et dans sa capacité à intégrer totalement et durablement la notion de clientèle.
En même temps que les collaborateurs apprivoisent cette culture, ils se familiarisent avec l’univers de l’agence et apprennent les opérations quotidiennes d’une banque de dépôt. Ce qui jusqu’à maintenant était abstrait doit devenir concret. Pour ce faire, des sessions de formation sont rendues obligatoires et ont lieu au centre de formation de l’Oasis, à Casablanca.

Les équipes sont mises en situation et apprennent à faire les opérations les plus basiques pour commencer. Puis au fur et à mesure, les formateurs complexifient les cas pratiques. Les choses sont plus aisées pour la partie crédit car les collaborateurs sont familiers de ces produits et de la terminologie qui leur est propre. Il en va autrement pour les virements, les retraits et autres opérations jamais pratiquées ; même chose avec l’utilisation de l’outil informatique dont l’accès est plus facile pour le trai tement des crédits. Mais les enjeux sont colossaux et le président Slimani accorde un budget quasi illimité à la formation.
Les deux points fondamentaux sont réunis : la notion centrale de client et la vie concrète en agence. C’est une réussite, et au bout de deux ans, le CIH est en mesure d’ouvrir une trentaine d’agences, chacune dotée d’un directeur, d’un chef d’exploitation et d’un chef de caisse. Le réseau est né, se développe et va soutenir l’action de la nouvelle banque à la conquête de clients. Toutes ces années ont souvent été vécues comme une chance pour les équipes, car qui dit développement du réseau, dit création de postes et surtout promotions pour les collaborateurs qui le souhaitent. L’émulation a aussi fait partie du succès de la mue opérée par le CIH.

Fête de départ de M. Othman Slimani, avec ses collaborateurs, en 1993.
Ouverture d’une nouvelle agence bancaire CIH à Casablanca, 1997.
Entrée de l’agence CIH Casa Romandie à Casablanca, septembre 2009.
Façade de l’agence CIH 2 Mars à Casablanca, en 2013.
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